Meditatio 4: A Castle On a Cloud

Meditatio 4: A Castle On a Cloud

Le rêve de la France

J’ai longtemps rêvé de vivre et d’étudier en France; mon rêve s’est réalisé lorsque ma demande d’inscription a été acceptée à l’Université de Paris, en 1999. Il y a donc un siècle ! Après bien des préparatifs et une logistique assez complexe, j’arrivai dans la capitale française à l’automne 2000. Mis à part un ou deux lointains amis de ma parenté, je ne connaissais âme qui vive à Paris. Pas une. Je ressentais cette ville froide et désolée comme étant plus glaciale, à l’automne, que les hivers canadiens qui m’étaient si familiers. C’était un froid dont je me souviendrai toujours; il semblait vous transpercer jusqu’à l’os. Je me souviens aussi de ce gris omniprésent : le gris du ciel, des immeubles. La mine grise des gens, le gris dans mon cœur... Est-ce que je me ferais des amis? Est-ce que je réussirais mes études? Que l’avenir me réservait-il? Mon regard se perdait à travers la fenêtre de la petite chambre que je louais, au- dessus des toits gris-ardoise de Paris.

« ....comme je m’asseyais près du lit et posais ma tête et mes bras sur l’oreiller, un terrible sentiment d’oppression m’envahissait. D’un coup, ma situation se précisait tel un fantôme. Anormale, désolée, presque sans espoir, c’est ainsi qu’elle me paraissait. Qu’est-ce que je faisais ici, seule, dans le grand Londres? Que devrais-je faire le lendemain? Quelles perspectives avais-je dans la vie? Quels amis sur terre? D’où venais-je? Où devrais-je aller? Que devrais-je faire? Je mouillais l’oreiller, mes bras et mes cheveux avec d’abondantes larmes...»1 Ce passage est tiré du roman Villette de Charlotte Brontë, publié en 1853. Il est extrait du chapitre intitulé Turning a New Leaf (Un nouveau départ), qui relate l’arrivée à Londres de cette héroïne esseulée, Lucy Snowe. Les sentiments de Lucy reflètent parfaitement ceux qui m’habitaient à mon arrivée dans «le grand Paris»... Lucy se sentait aussi solitaire, aussi abandonnée que moi-même.

Les souvenirs ravivés

Pourtant, il existait un antidote à mon esseulement et mon réel sentiment de terreur. Un antidote dont ne pouvait se prévaloir Lucy Snowe. C’est en parcourant une galerie de photos sur Instagram, un jour, que je tombai sur une ou deux photos qui me le remis vivement en mémoire. Il s’agissait de photos prises au Château de Masseuil, en périphérie de la ville de Poitiers, dans l’ouest de la France. Un très beau château orné de tours et de tourelles, deux d’entre elles remontant au XVe siècle. De nos jours, le Château de Masseuil a été transformé en gîte; ce monument patrimonial demeure néanmoins un précieux témoin de l’histoire du Poitou-Charentes, la région où vivent également ma tante Diane et sa fille, Séverine. C’est en parcourant les photos que je me rendais compte que «l’antidote» à mon existence fantomatique à Paris était le suivant: celui de pouvoir passer du temps avec ma cousine et ma tante dans Poitiers et ses environs. Vastement réconfortantes, ces visites. Parmi les images de la galerie virtuelle du Château de Masseuil : une tasse de café matinale posée sur une table, de vieilles pierres sculptées recouvertes de mousse, le profil du château se détachant sur un ciel assombri...

Observant de près ces photos, je suis frappée par la composition de l’une d’entre elles: elle met en scène deux promeneurs déambulant à travers le boisé tranquille entourant le château. D’un coup, telle une puissante rivière, les souvenirs affluent. Des souvenirs de moi et de Séverine nous baladant dans la campagne poitevine, près de sa maison d’enfance. Non pas que les dimensions de cette maison de campagne s'apparentaient à celles d’un château, loin s’en faut. Mais cette demeure était suffisamment grande pour impressionner la jeune femme que j’étais alors. Qui plus est, l’image du boisé près du Château de Masseuil me rappelle une atmosphère, une ambiance, plutôt qu’une scène particulière. Encore plus significativement, elle évoque le sentiment que l’automne dans la campagne française est de loin plus beau que l’automne à Paris. Il évoque un après-midi d’automne en particulier, dont le souvenir est ravivé...

Un mystérieux personnage

Il s’agit probablement de l’automne 2000, lors d’une de mes visites à Poitiers. Je me souviens de la petite ville, de la campagne environnante qui me paraissait encore très belle, malgré la saison froide qui s’annonçait. Alors que je déambulais, en compagnie de Séverine, à travers le boisé dénudé, nous jasions, nous riions, nous partagions des souvenirs et des impressions et de petites anecdotes amusantes sur nos nouveaux professeurs, sur nos camarades. Son amitié m’était d’un tel réconfort! Le ciel était gris et presqu’orageux ce jour-là, mais sa couleur délavée ne m’affectait pas comme elle l’aurait fait à Paris. Sa mine grise m’apparaissait, non pas dure et métallique comme en ville, mais douce et poétique. J’étais en bonne compagnie, après tout, et puis la lumière tamisée de l’automne promettait de nous enseigner des choses que nos professeurs eux-mêmes ne pourraient enseigner. Nous poursuivions notre chemin, ravivant le souvenir de l’enfance, des années adolescentes. Séverine se mettait à parler de son père. J’en étais étonnée, car elle en parlait rarement. Il était décédé dans un accident de voiture il y avait plusieurs années de cela.

- J’ai entrepris des études en droit en partie afin d’honorer sa mémoire. 

- Jesais. Et il serait très fier de toi.

Mon oncle avait été un brillant avocat et aussi un historien. Et je me demandais soudain, comme nous marchions sous les arbres noircis, si je n’avais pas moi-même été inspirée à me lancer dans des études d’histoire à cause de lui. Cet oncle avait toujours été un personnage assez mystérieux. À mes yeux d’enfant, il me paraissait lointain, de la même façon qu’un pays nommé France me paraissait lointain. À l’adolescence, j’avais souhaité discuter avec lui de ma nouvelle passion pour l’histoire, mais quelque chose de très formel chez lui me décourageait. Tentant, des années plus tard, de me frayer un chemin à travers la bureaucratie française et le système universitaire, il me manquait beaucoup et je ne pouvais que m’imaginer à quel point ses conseils paternels manquaient à Séverine. Ma cousine et moi jasions et riions et pleurions ensemble le long de ce chemin de campagne, et je ressentais la tranquille présence de son père. Elle m’était d’un grand réconfort et nous aidait, je crois, à cultiver une nouvelle sorte de relation, une relation qui s’était effilochée avec le temps et la distance.

Le Nouveau et le Vieux Continent

Le temps et la distance qui nous séparent, Séverine et moi, semblent le parfait symbole du temps et de la distance qui séparent l’Amérique du nord de l’Europe, le Nouveau Continent du Vieux Continent. Malgré que l’impact de la mondialisation ait été l’uniformisation culturelle, il existe tout de même une différence marquée entre le regard que porte l’Amérique sur sa place dans le monde et celui de l’Europe. En Amérique, le manque d'intérêt pour l'histoire, conjuguée à la destruction du mode de vie autochtone résultent en une absence de culture. La consommation de masse a comblé le vide. J’ai toujours souffert de cette culture très lacunaire, et de son pendant, l’absence de beauté, qui affligent ma terre natale. D’aucun pourrait dire que la beauté des espaces naturels compense, et c’est vrai jusqu’à un certain point. Mais elle ne compense pas de manière parfaite, comme nous avons beaucoup défiguré et dégradé ces paysages, eux aussi... Je suis persuadée que notre manque de raffinement, de sensibilité et de discernement esthétique en sont le résultat.

Ces jours-ci, je me sens impatiente, agitée, troublée par ce manque de discernement. Je recherche la beauté et, à quelques exceptions près, je ne peux la trouver ici. Ce que j’arrive effectivement à trouver, c’est la consolation que m’apporte le fait d’entrer en contact avec les autres. Ce contact semble compenser pour le manque de beauté, par certains côtés. Je ressens un grand besoin de partager, de communiquer, de me rapprocher de la famille, de mes amis. De partager ces histoires avec vous, mon auditoire. Il s’agit d’un exercice spirituel qui représente un complément à cet autre exercice : celui de m’abandonner à l’attrait, à l’envoûtement du passé. Il s’agit pour moi d’une façon de repérer et de me réapproprier le centre de l’âme.

Un château dans les nuages

Ma balade à travers la campagne poitevine en compagnie de Séverine, lors de ce lointain après-midi d’automne, en vient à symboliser ces deux formes de communication : le pouvoir d’entrer en relation avec des âmes sœurs et celui d’entrer en relation avec l’histoire vivante. Ma cousine et moi déambulions le long du chemin boisé. Un vent se levait, une touche d’hiver dans son souffle. Il fouettait nos longs cheveux, nous faisait frissonner. D’un coup, nous figions, au milieu du chemin.

Je me souviens du silence le plus total qui nous enveloppait à cet instant. Le même silence qui enveloppe en rêve. Ai-je rêvé la scène, justement? Est-ce que cette vision a vraiment fait partie de notre ballade automnale, cet après-midi-là? Cette vision faite d’un magnifique et vieux monument, un château, avec ses fenêtres miroitant dans le soleil de mi-journée. Se pouvait-il que ce «château dans les nuages» ait été le Château de Masseuil? Je n’en sais rien. Il y a trop longtemps de cela. Pourtant, la scène me paraît aussi vraie, aussi tangible que si je m’étais aventurée sur ce domaine à l’instant-même. Malgré que nous nous trouvions près du village, le silence se prolongeait. Je n’en avais jamais fait l’expérience jusqu’à maintenant. Et puis je n’ai jamais entendu ou lu une description exacte de ce silence natif à la campagne française. Nous nous arrêtions, et tendions l’oreille. C’était le silence d’une myriade de vies passées. D’une constellation d’histoires perdues. Le silence de l’éternité. Une expérience transcendante, s’il en est une.

Hors temps, hors monde

Je remarque que lorsque nous faisons l’expérience d’un moment transcendant, nous réalisons que nous avons repéré, ou localisé, le centre de l’âme. C’est comme si tout de la vie, ou de l’existence, nous est révélé en un furtif instant : passé, présent et futur. Notre quête de sens semblant trouvé réponse en un seul moment intemporel. Nous nous retrouvons hors temps, hors monde. Nous nous sentons parfaitement serein, enraciné, entier. Nous poursuivons notre chemin au bout d’un moment, tentant de préserver ce sentiment fugace. Et puis une ancienne église ou un vieux manoir ou un château se découpe sur le ciel au bout de la route. Et puis c’est comme si on se retrouvait chez soi.

C’est de cette façon que je m’imagine notre ballade à travers le boisé dénudé d’un domaine qui aurait très bien pu être celui du Château de Masseuil. Le fait est que mes visites en campagne poitevine m’ont enracinée à un moment dans ma vie où j’éprouvais un intense besoin de repères. Mon expérience vécue dans cette région magnifique m’a fait comprendre les vraies raisons m’ayant poussée, en premier lieu, à voyager si loin afin d’étudier en histoire. J’avais voyagé en terre lointaine afin de toucher le passé, l’éternel, afin de faire l’expérience d’une relation vécue, sensible avec l’histoire. Afin de faire l’expérience d’une vérité que je ne trouvais pas chez nous, en Amérique. Au moment de revenir sur Paris afin d’y poursuivre mes études, je rangeais le sentiment dans un tiroir de l’âme. Je vivais une époque pleine de défis. Mais à présent, je me sentais parfaitement réconfortée à l’idée que je pourrais toujours revenir ici et y retrouver ce chez-soi secret et sacré.


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Apprenez-en davantage sur le Château de Masseuil ici:

Instagram: chateau_de_masseuil

Facebook: @chateaudemasseuil 


Tiré de Villette par Charlotte Brontë, traduction libre.

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